Saint-Paul dresse sa proue sur les vallons qui, en quelques vagues de terre, conduisent à une Méditerranée toute proche.

Des Ligures à François 1er, l’histoire a construit ce village. le temps a été clément, pour une fois les hommes n’ont rien gâché et les maisons serrées dans les remparts ont conservé leur visage de pierres recuites au soleil et leurs tuiles rongées de sel.

​Entre ses façades rapprochées, l’étroite rue qui garde les ombres et les parfums saisonniers, a vu s’ouvrir quelques boutiques : le vieil épicier, marchand de tout et de cartes postales, qui fait bien mal ses additions, mais dont le fils aura du bien ; les deux antiquaires, voisins et concurrents, la dresseuse de chapeaux, le coiffeur ; et, plus haut, car la rue a des hauts et des bas, comme la vie, Jacques le tisserand qui fait sortir de ses métiers si propres et si lustrés, les écharpes et les tissus de laine que vous retrouverez peut-être chez Lanvin. (…) 

​Quelques pas encore, voici la maison d’André Verdet, l’ami de Jacques Prévert, tendre et fragile poète qui sut se durcir dans la guerre clandestine et que la Gestapo conduisit à l’amer exil de Buchenwald. De là-bas, il pensait à son village :

“Quand enfin notre mas rentrerait à son port
Dans le dernier rayon du dernier crépuscule,
Un bonheur sourirait calme comme la mort
Posant dans nos coeurs purs une ivre libellule.” (…)

Vous pensez bien que le plus joli village de la Côte n’est pas passé inaperçu du touriste. Depuis vingt ans, tout ce que Paris compte de gloires : rois en exil, grands ducs en tournée, étoiles du théâtre, de la littérature, de la politique, de la finance, y sont venus goûter le vin, le soleil et les nuits.  (…)

Mais Saint-Paul avait un autre destin que celui-là, les peintres sont venus, ils ont vu, ils ont été conquis. (…)  Ils ont été les hôtes et souvent les invités de Paul Roux à la Colombe d’Or. Ce diable d’homme a donné à son village natal une auréole qui vaut bien celle de Montparnassse, de Montmartre de Barbizon ou du Poldu. (…)

​Ceux du pays, les quelques cinq cents Saint-Paulois qui voient défiler tant de voitures rutilantes, tant de shorts et tant de fourrures, selon la saison, ne s’en étonnent pas. Ces sages vivent sagement, illustrant Virgile, Dante ou Jean Aicard, cultivant la rose et l’artichaut, jouant aux boules, savourant  le jour et le jus de la vigne.

il n’y a rien à retrancher ni à ajouter à ce village bien né. Un dieu cordial, peut-être païen, veille sur lui. Ne vous inquiétez pas.

​Texte écrit en 1946 par Jean Cassarini, artiste peintre, fondateur avec Henri Matisse et Pierre Bonnard de ‘Union Méditerranéenne pour l’Art Moderne (U.M.A.M.)