Giulia Andreani
Tsvi-tsvi, 2023
L’oeuvre conçue par Giulia Andreani à l’occasion de la Biennale de Saint- Paul-de-Vence représente Rosa Luxemburg encore enfant, entourée de ses « camarades » ailées. Elle renvoie à ces riches échanges épistolaires mais aussi au destin tragique de l’une des femmes les plus courageuses du 20e siècle en Europe. Inspirée d’une photographie d’archive de la fin du 19e siècle, l’artiste a réalisé un portrait à l’acrylique sur toile ensuite retravaillé en tapisserie. Dans ce tissage jacquard, un masque étrange, dont la géométrie rappelle celle d’une cage, contraste avec la texture de la laine reproduisant les gammes chromatiques bleutées du portrait. Le masque est réalisé dans une matière rosée et duveteuse qui évoque une cage à oiseau mais également un espace domestique non sans renvoyer à la Maison de Poupée oeuvre théâtrale sur la volonté d’émancipation écrite exactement à la même époque par Henrik Ibsen.
L’artiste s’inspire des lettres de Rosa Luxemburg écrites depuis sa prison, dans lesquelles elle décrivait le paysage qu’elle avait sous les yeux. Les émouvants comptes-rendus de ses journées racontaient la forme des nuages, toutes sortes d’oiseaux, le bourdonnement des insectes, un morceau de jardin… Entre les murs de la geôle berlinoise où elle veut se tenir comme Goethe « au-dessus des choses » (« Le désastre général est beaucoup trop grand pour qu’on se lamente à son sujet »), ce panthéisme tranquille est un recours, et le chant du coq, dans la cour, un enchantement. Tout porte à la désolation (« Ou que l’on tende la main on ne trouve que des branches pourries ») mais l’épistolière sensible fait aussi entendre à ses correspondants les mésanges charbonnières qui font ce « tsvi tsvi » qu’elle imite si bien pour les faire venir, surtout l’une, son « amie », qui l’accompagne pour la promenade quotidienne, sautillant sur la neige.
Elle écrira à son amie Clara Zetkin : « À vous je peux bien dire tout cela : vous n’irez pas tout de suite me soupçonner de trahir le socialisme. Vous le savez, j’espère malgré tout que je mourrai à mon poste, dans une bataille de rue ou au bagne. Mais mon moi le plus profond appartient plus aux mésanges charbonnières qu’aux camarades. »
Et dans une lettre plus sombre adressée à Mathilde Jacob elle notera : « Sur ma tombe, comme dans ma vie, il n’y aura pas de phrases grandiloquentes. Sur la pierre de mon tombeau, on ne lira que deux syllabes : tsvi-tsvi. C’est le chant des mésanges charbonnières que j’imite si bien qu’elles accourent aussitôt. »
Giulia Andreani est représentée par la Galerie Max Hetzler.
The artwork designed by Giulia Andreani for the Biennale de Saint-Paul-de-Vence depicts Rosa Luxemburg as a child, surrounded by her winged “comrades”. It recalls the rich exchange of letters, but also the tragic fate of one of the most courageous women in 20th-century Europe. Inspired by an archive photograph from the late 19th century, the artist created an acrylic portrait on canvas, which was then reworked into a tapestry. In this jacquard weave, a strange mask, whose geometry recalls a cage, contrasts with the texture of the wool reproducing the bluish chromatic ranges of the portrait. The mask is made from a pinkish, fluffy material that evokes a birdcage but also a domestic space and is reminiscent of Henrik Ibsen’s A Doll’s House, a play about the desire for emancipation written at the same time.
Inspired by Rosa Luxemburg’s letters written from prison, the artist reproduces the landscape Rosa had before her eyes — a piece of garden, the shape of clouds, all kinds of birds, the buzzing of insects — and the writing of moving accounts of her days. Within the walls of the Berlin cell, where, like Goethe, she wants to remain “above things” (“The general disaster is far too great to be lamented”), this quiet pantheism is a recourse, and the crowing of the cock in the courtyard an enchantment. Everything leads to desolation (“Wherever you put your hand, all you find are rotten branches”), but the sensitive letter writer also lets her correspondents hear the great titmice making that “tsvi tsvi” that she imitates so well to make them come to her, especially one, her “friend”, who accompanies her on her daily walk, hopping across the snow.
She wrote to her friend Clara Zetkin: “I can tell you all this: you won’t immediately suspect me of betraying socialism. As you know, I hope despite everything that I will die at my post, in a street fight or in prison. But my deepest self belongs more to the tits than to the comrades.”
And in a darker letter to Mathilde Jacob, she wrote: “On my tombstone, as in my life, there will be no grandiloquent phrases. Only two syllables will be written on the stone of my tomb: tsvi-tsvi. It’s the song of the great tits, which I imitate so well that they come running.”
Giulia Andreani is represented by Galerie Max Hetzler.
Tsvi-Tsvi, 2023
Laine, coton, acrylique et polyester
Wool, cotton, acrylic and polyester
204 x 150 cm
Courtesy © Galerie Max Hetzler Berlin | Paris | Londres.
ADAGP, Paris, 2023